Le paradoxe de Triffin

On associe souvent la puissance économique d’un pays à sa capacité à exporter ses produits et générer des excédents commerciaux. Ainsi, le monde regarde avec envie les énormes excédents commerciaux allemands et les considère (à raison) comme un élément fondamental de la puissance économique allemande.

Il y a pourtant au moins une grosse exception à ce principe, qui est que les Etats-Unis, première puissance économique mondiale, est aussi le pays qui a de très loin la balance commerciale la plus déficitaire au monde.

Comment l’expliquer ?

Il y a comme toujours en économie de nombreux facteurs qui entrent en jeu, mais le principal est certainement que les Etats-Unis sont victimes du paradoxe de Triffin !

A la sortie de la seconde guerre mondiale, tout le monde était d’accord sur la nécessité de bâtir un nouveau système monétaire international, le précédent ayant échoué à prévenir la grande dépression des années 30. Deux plans furent alors débattus lors de la célèbre conférence de Bretton Woods : le premier fut défendu par Keynes et les anglais et le second par White et les américains (détail important, il y aurait mille choses super intéressantes à raconter sur cette conférence et sur ces plans, mais ce n’est pas le cœur du sujet ici).

Un des aspects du plan anglais est qu’il prévoyait la création d’une monnaie internationale : le Bancor. Chaque pays conserverait sa propre monnaie, mais lorsqu’ils commerceraient entre eux cela se ferait en Bancor. Le plan américain prévoyait plutôt de faire du Dollar la monnaie pivot de ce nouveau système monétaire international. On comprend tout l’intérêt que cela pouvait représenter pour eux : si tout le monde reconnait votre devise comme monnaie internationale, alors vous n’avez aucune inquiétude pour sécuriser le paiement de vos approvisionnements vu que vous les réglez avec votre propre monnaie !

La puissance américaine étant à son apogée à ce moment-là, c’est le plan américain qui a gagné (mais attention, gardons-nous de tout anti-américanisme ! La raison pour laquelle les anglais ont supporté le plan Keynes est que cela les arrangeait bien aussi. Et j'aime beaucoup mon pays mais si la France avait eu son mot à dire, je lui fais confiance pour avoir tout tenté pour tirer au maximum la couverture de son côté ! On est là dans un rapport de force classique entre nations où chacun défend son bout de gras et où le plus fort gagne).

Là où c’est intéressant est qu’avoir sa monnaie nationale comme monnaie internationale est certes très pratique, mais pose aussi un sérieux problème.

Car si votre monnaie est la monnaie de référence, celle avec laquelle on achète des barils de pétrole, etc., cela signifie que tous les pays ont besoin de détenir un peu de votre monnaie.

Oui mais si tous les pays ont besoin de détenir un peu de votre monnaie, cela signifie qu'une certaine quantité de votre monnaie doit sortir de votre pays pour alimenter cette demande. Sinon, vous bloquez les échanges internationaux. Il doit donc y avoir une fuite régulière de votre monnaie hors de votre pays.

Cette fuite de monnaie peut prendre plusieurs formes. Aux Etats-Unis, elle a pris celle d’une balance commerciale très déficitaire. C’est-à-dire que le besoin de Dollars dans le monde fait que son taux de change se fixe à un niveau élevé qui pousse les américains à acheter beaucoup plus de produits à leurs partenaires commerciaux qu’ils ne leur en vendent.

Chaque année les Etats-Unis connaissent ainsi un déficit commercial très important et des centaines de milliards de dollars sortent du pays, essentiellement parce qu’ils possèdent la monnaie de référence internationale.

Le paradoxe de Triffin consiste ainsi à remarquer que le pays possédant la monnaie de référence internationale doit forcément connaitre un déficit dans ses paiements avec le reste du monde, ce qui tend paradoxalement à affaiblir son économie et la confiance dans sa monnaie, aboutissant à faire de la monnaie de référence une monnaie moins attractive et donc de moins en moins de référence.

D'où l'importance pour de nombreux économistes de créer une monnaie internationale qui ne soit pas en même temps une monnaie nationale.

Le Dollar résiste néanmoins très bien jusqu'à aujourd’hui car il n’existe pas d’autres devises à même de le concurrencer actuellement et que l'économie américaine reste malgré tout dynamique.

Au passage, ajoutons en bon keynésien que ce déficit commercial américain a ceci de positif qu'il alimente la demande mondiale. Il est clair que des pays comme la Chine n’auraient jamais pu connaitre un développement aussi spectaculaire sans ses déficits, qui représentent autant d'achats de leurs produits.

Il est sûr que de ce point de vu là, le monde ne peut pas compter sur l’Europe, parée dans sa vertu anti-déficits, pour dégager des excédents commerciaux qui l’aideraient à se développer .

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